El Guincho et Icod de Los Vinos
(du 2e au 5e jour)
El Guincho (I)
Au paradis des Minions
il y a des bananes des bananes
des bananes par millions
vertes et engoncées aujourd’hui
jaunes et sucrées demain
elles deviendront fruit
ouvrons la fenêtre
ses volets émeraude
et tendons la main
tout effort est ici vain
Au paradis des rampants
il y a des lézards des lézards
des lézards opulents
ils chassent l’insecte
tapis sous la pierre
c’est là qu’ils prospectent
captons-les dans nos boîtes
que l’image s’y imprègne
fixe ou en mouvement
mais surtout lentement
Au paradis de la pierre
il y a des oiseaux des oiseaux
des oiseaux si fiers
les pattes entravées
sans yeux sans langue
la crête ébouriffée
laissons-les s’envoler
ils n’iront nulle part
battements interdits
oiseaux de paradis
6 août 2019
El Guincho (II)
Au premier chant du coq
j’étouffe dans mes rêves
je me débats à coups de couteau
dans une matrice de caoutchouc
qui se referme inexorablement
sûrement la fenêtre
nous aurions dû l’ouvrir
ou peut-être l’almogrote
et le coq continue de chanter
les questions de toujours
remontent à la surface
vos respirations sont lentes
et paisibles
je referme les yeux
elles sont toujours là
au-delà du bourdonnement
qui a repris droit de cité
il s’invite quand ça lui prend
sans se soucier des autres
un peu comme moi
mais que suis-je
au-delà du bourdonnement
les vagues monotones
du trafic au loin
au lieu de l’océan
des voitures
où que tu sois
et le coq continue de chanter
pour quelles poules
toujours les mêmes questions
alors qu’une seule suffit
mais nous ne pouvons
en concevoir la réponse
et le coq continue encore
et encore un aliéné
le réveil sonne
tu te lèves comme une balle
tu as fait un joli rêve
il y avait un sous-marin
des requins qui ne pouvaient pas
vous mordre
et les parents n’étaient pas là
pour vous interdire
la
liberté.
7 août 2019
El Guincho (III)
Tu verras
le domaine est immense
rien qu’à toi
tu en seras le maître
bienveillant
ils n’avaient pas menti
rien qu’à lui
crocus
chrysanthèmes
euphorbe d’Albanie
strelitzias
hibiscus
roses
calistemo
bougainvillées
pommes d’eau de Formose
oenothera
hortensias ses favorites
couleur des façades
de La Laguna
qu’il a quittée
par passion
et tant d’autres
rien qu’à lui
et pour tous
ceux qui passent
un temps
et admirent distraitement
le fruit de ses soins
intensifs
ceux qui s’attardent
ou reviennent
sous le charme
il les caresse
baigne taille ourle
il les appelle par leur prénom
toutes autant qu’elles sont
il leur parle une à une
et les recueille
quand elles chutent
pour toujours
puis renaissent
un beau
jour
8 août 2019
Icod de Los Vinos
C’aurait dû être une prison
les apparences sont trompeuses
c’était une couveuse
des centaines d’ailes
virevoltaient
de fleur en fleur
de larve en chrysalide
de chrysalide en papillon
grandir
trouver son parfum
s’accoupler
des heures durant
donner la vie
dresser les ailes
ne plus bouger
tomber dans l’oubli
la poussière
au pied de l’arbre
qui contemple
ses années sont des siècles
éternel
fort
fort éternel
si vulnérable
devant l’humanité
que rien ne peut arrêter
si ce n’est elle
qui prend d’une main
et donne de l’autre
plus petite
mais décidée
jusqu’au bout
l’espoir subsiste
les apparences
sont trompeuses.
9 août 2019
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© Éditions de L’ARBàLETTRES, 2020