Dans
les couloirs de l’académie
Osvaldo Baronchelli
Les silhouettes bordeaux de trois conjurés se détachent sur un mur banane avancée, au bout du couloir, linoléum bleu gris blanc. Un homme déplumé, mais pas encore chauve, marche d’un pas décidé, entre dans la classe sous la vieille carte d’Amérique du Nord. Le soleil, pourtant si souvent pâle, a aplati ses couleurs. Il martyrise la serrure, claque la porte, défigure un lied à coups de brames vindicatifs, ressort, la moue sévère. L’ai-je surpris en flagrant délit de massacre ? Il doute. Chacun fait ce qu’il peut. Je ne me permettrais pas de juger. L’effort parle pour lui. Je ne fais qu’écouter les sons qui s’entremêlent au hasard des itinéraires. Des cordes grincent courageusement. Il y a ce piano qui cherche patiemment ses accords. Quelques gouttes sonnent l’avant-soirée sur les carreaux ternis. Elles saluent l’hiver qui s’en va sur la pointe des pieds. À peine était-il entré que le voilà reparti, comme le cerf et son lied. Des gens affairés passent et repassent, mais au compte-gouttes. Des éclats de voix enfantines croisent des timbres graves et réprobateurs. Une porte claque, encore une. Une fillette dévale les escaliers sous les trois serviteurs du pharaon Kih-Oskh, hiératiques, impavides. Les accords continuent de se chercher. Le directeur sort de son bureau, vient à ma rencontre, bifurque et disparaît. De toute façon, il ne me connaît pas. Le clavier et les cordes se trouvent dans la classe, juste en face de l’armoire grise, en fer blanc, grosse et laide. La musique naît quand on ne l’attend plus. Le piano solitaire persiste. Une ballade se dessine doucement. La lumière décline. Les couleurs s’estompent et laissent la place aux silhouettes noueuses des arbres nus.
© Éditions de L’ARBàLETTRES, 2020