La der des ders
Oleg Boulanev
L’hiver entre
et meurt de chaleur
entre les sourires bienveillants
les murs épais
de fleurs corail sur lit de cacao
de rideaux corail
alourdis par les heures
qui ne comptent pas
pour cette taverne
de boiseries caoba
qui couvrent le reste
avant qu’il entre en scène
je suis en retard
mais moins que les autres
« mais c’est Plastic Bertrand »
s’écrie la dame sans âge
qui tient la taverne
sans âge
avec son compagnon de route
sans âge
un peu fatigué quand même
dans sa dépendance
il y a un téléviseur
les mêmes fleurs au mur
et une béquille
pour les dérèglements du corps
il finit toujours par trahir
nos rêves les plus innocents
notre soif d’immortalité
naïveté
joie de vivre
ce n’est pas Plastic Bertrand
putain on aurait été bien
c’est l’Irlande qui se fraie un passage
entre les Leffe
Orval
Chouffe
Duvel
Westmalle
la bière se fout des querelles de langues
qui fourchent pour diviser et meurtrir
ça demande si peu d’efforts
c’est l’Irlande qui embrasse une guitare
une voix un violon un accordéon
diachronique
c’est mieux
c’est suffisant
largement
c’est l’Irlande qui a choisi la Belgique
sans le vouloir
et qui y est restée
pour le pire et pour le meilleur
et qui l’emmène avec elle
pour une ballade
la dernière des dernières
pour cette taverne
dans le Brabant
que le temps ne peut vaincre
ni ses fleurs corail
ni ses rideaux corail
ni la vieille dame et son compagnon
et leurs bières infatigables
sur un coin de rue sans histoire
+ Reflets en images par Othmane Benkhabecheche
© Éditions de L’ARBàLETTRES, 2019