Le chant du brochet

Odilon Balgy


Elle se dresse
se redresse
il est lourd
le temps suspendu

Reprendre le mouvement
le geste vers l’autre
qui est tout
qui donne sens aux notes

L’archet glisse
attrape un rêve
l’entraîne
dans un lit d’ivoire

Le brochet chante
pour cinq, six, sept, huit élus
et pour tous ceux
qui n’ont pas pu

les enfants innocents
qui ignorent
la forme d’un sourire

la folle jeunesse
qui étouffe
dans sa chambre

les forces vives
qui courent
après le produit

intérieur

brut

les corps essoufflés
qui s’effacent
dans l’indifférence

Le brochet chante
le passé perdu
la liberté
qui attend son tour
ça ira mieux un jour
on ne sait pas trop quand
on ne sait pas trop si
 

Le brochet chante
ce n’est pas essentiel
après tout
qu’est-ce qui l’est
ne pas mourir
ne plus mourir
ne plus vivre
ce n’est pas essentiel

Debussy observe
l’œil figé dans la toile
cette étrange communion
ce public masqué
calfeutré
enterré
qui se déleste
peu à peu de ses peurs
et s’ouvre
à la lumière

Elle filtre par deux jours
percés dans le toit
elle berce la planque
malgré les barricades

Il faut se cacher
un spectre rôde
il est affamé

Et le décideur
qui décide pour nous
mais sans nous
attend que ça passe
ça finira par passer

Le brochet chante
encore et toujours
les langues se délient
les cœurs s’épanchent
l’humain se retrouve

 © Éditions de L’ARBàLETTRES, 2021

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